La maison de vacances où séjournait, enfant, le réalisateur et auteur Laurent Courau était-elle habitée par des esprits ? Des bruits étranges, des cris… Le récit d’une histoire extraordinaire à la Edgar Allan Poe qu’un reportage de Temps Présent de 1976 consacré au paranormal semble confirmer.
Un texte de Laurent Courau, paru dans L’Inédit (RTS – Radio Télévision Suisse).
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Image tirée de l’émission Temps Présent, diffusée le 11 novembre 1976, qui passe en revue les différentes expressions du paranormal, pour illustrer un article de L’Inédit. © Radio Télévision Suisse
C’est un petit village en pierres, perché sur un flanc de montagne orienté vers le sud. Typique, avec ses rues en pente et ses places étroites où il fait bon se gorger de soleil et d’air pur. Mes parents y possèdent une maison, où nous passons la plupart de nos vacances. Une vieille et grande bicoque, sombre, qui gémit et qui craque selon les écarts d’humidité et de température. Enfin ! C’est ce que mes parents veulent bien me glisser pour me rassurer, lorsqu’ils sortent et me laissent seul, le soir, dans cette immense baraque.
À force d’y passer mes vacances, je me suis fait des copains dans les alentours. Des gamins de mon âge, qui ont grandi dans les parages et connaissent tous les recoins de la montagne environnante, ses vieilles ruines à explorer, ses anecdotes, ses secrets et ses légendes. Ce sont eux qui m’apprennent, l’air de rien, au détour d’une conversation, que notre maison serait hantée. Que l’on y entend des bruits et que l’on y perçoit des présences. Des faits qui seraient connus de tout le village et des environs, depuis des générations. Il paraîtrait même que des prêtres seraient venus l’exorciser et que ces interventions seraient consignées sur les vieux registres de la commune.
Pas de quoi rassurer mes craintes enfantines, déjà éveillées par l’atmosphère particulière du lieu, mais j’essaie néanmoins de me convaincre que mes camarades, inspirés par les films d’horreur et de possession, alors en vogue, se paient la tête du petit citadin que je reste à leurs yeux. Ce qui ne m’empêche bien sûr pas de prêter une oreille d’autant plus attentive aux respirations nocturnes de la maison, aux bruissements de ses parquets, aux dialogues de sa boiserie. Mais rien pour venir corroborer leurs dires et ceux de leurs grand-parents, entre-temps consultés par mes soins. Les semaines passent, le ciel est bleu azur et les jours rallongent.
Et soudain, l’impensable se produit.
Dans la torpeur d’un après-midi d’été, un cri d’effroi retentit, bientôt suivi d’un choeur de hurlements et d’une cavalcade dans l’escalier. L’équipe de maçons qui travaillaient au premier étage se rue hors de la maison comme un seul homme, comme si le diable lui-même était à ses trousses. Malgré la confusion, les voisins alertés qui accourent et ajoutent au vacarme, nous arrivons à comprendre qu’ils ont trouvé « quelque chose » dans le mur qu’ils étaient en train d’abattre à l’étage et qu’il n’est pas question qu’ils remettent un pied à l’intérieur, encore moins là-haut sur leur chantier.
Affolés, nous montons quatre à quatre les marches, pour nous trouver pétrifiés face à un crâne humain qui nous fixe de son regard vide, comme goguenard, depuis la brèche ouverte dans le mur par les masses des ouvriers. Le reste de son squelette émergeant, enchâssé parmi les vieilles briques fracassées de l’ouvrage.
Quelques décennies plus tard, je ne sais toujours que penser de cet épisode extraordinaire. Un squelette humain, entier, du moins ce qu’il en reste, encastré dans l’un des murs de notre maison ? Celle-là même dont tout le village, enfants et anciens compris, m’assure qu’elle est hantée. Peut-il s’agir d’une simple coïncidence, d’un phénomène surnaturel ou encore d’une manière détournée de conserver la mémoire d’un crime aussi atroce que jalousement gardés par les habitants ? Gageons que la question ne sera jamais tranchée.
Bien des dimensions échappent encore à l’absurdité de nos sociétés, dans leur soumission exponentielle à la tyrannie des algorithmes, au joug carcéral des tableaux Excel et des bilans-comptable ; ainsi que la nature se plaît régulièrement à nous le rappeler. Et pour peu qu’on l’entende comme une forme de poésie, le paranormal fait partie de ces clés qui autorisent l’évasion, qui nous permettent de nous échapper vers d’autres réalités moins normatives, moins quantifiables, qu’elles relèvent ou non du seul domaine de l’imaginaire.
En quelque sorte, de saupoudrer notre triste quotidien cartésien d’une pincée de pensée magique, surréaliste et généreuse, afin de lui redonner de son lustre et de sa consistance.
Laurent Courau